Le Sur Racine de Roland Barthes a connu un succès et une diffusion qu’aucun livre de critique, du moins en France, n’a sans doute connus à notre époque. Cette audience exceptionnelle est due en grande partie à la « querelle » déclenchée par le pamphlet de Raymond Picard, Nouvelle Critique ou nouvelle imposture. Raymond Picard avait seulement voulu jeter un cri d’alarme en épinglant quelques affirmations aussi arbitraires que ridicules qui devait suffire à discréditer leur auteur. Au lieu de cela, hélas ! il a fourni à Roland Barthes l’occasion de se poser en victime de l’Université « traditionnelle », d’affecter d’avoir été choisi comme « bouc émissaire » par les organisateurs d’une opération réactionnaire d’intimidation et de répression intellectuelles, et ainsi de mobiliser en sa faveur la quasi-totalité des intellectuels de gauche.
René Pommier a donc pensé qu’il fallait soumettre le Sur Racine à un examen aussi minutieux et aussi méthodique que possible. Et c’est ce qu’il a fait dans sa thèse de doctorat d’État, en montrant que ce livre témoignait d’abord d’une réelle inintelligence des textes – Roland Barthes faisant sans cesse dire à Racine ce qu’il n’avait jamais voulu dire et souvent tout le contraire, et méconnaissant totalement l’art du poète et du dramaturge – ensuite d’une constante incohérence – Roland Barthes ne craignant pas de se contredire continuellement et de soutenir successivement des thèses strictement incompatibles entre elles – et enfin d’une parfaite extravagance – Roland Barthes ne cessant de prêter à « l’homme racinien » des sentiments que non seulement aucun personnage de Racine, mais sans doute aucun homme n’a jamais éprouvés. Mais la thèse de René Pommier n’est pas seulement celle d’un polémiste ; elle est aussi, et sans doute plus encore, celle d’un racinien qui, pour réfuter les interprétations arbitraires de Roland Barthes, ne cesse de se livrer à son exercice de prédilection, l’explication de textes, et qui éclaire aussi des aspects très importants de la tragédie racinienne, et notamment la construction de l’intrigue ou le rôle joué par les dieux. Contrairement au Sur Racine, la thèse de René Pommier est d’abord et surtout un livre sur Racine.