Saül est bien ce héros tragique dont La Taille a théorisé les règles et les effets dans l’Art de la tragédie. Sur le registre humain, il est assez innocent pour que ses malheurs suscitent notre compassion, sur le registre divin il est assez coupable pour que sa « ruine » fasse naître en nous la crainte purificatrice. La vie humaine serait-elle à ce point absurde ? La réponse à cette question posée par le tragique de Saül, Jean de La Taille nous la donne dans La Famine. Les sept descendants de Saül mourront certes parce que ce dernier a violé le serment prêté par Josué face au Seigneur, mais surtout parce que si la justice divine met comme conditions au pardon l’aveu, le regret et la réparation, celle des hommes ne peut se satisfaire que si l’expiation est à la mesure de l’offense. Si bien que la souffrance des uns, bien loin d’effacer celle des autres, ne fait que s’ajouter à elle, augmentant par là même le capital des maux de l’humanité et la puissance tragique du mal. Cette double tragédie a donc, en dernière analyse, pour unique héros l’homme, représenté par Saül et sa descendance ; l’homme en révolte contre Dieu, l’homme qui a cru aux promesses du serpent : « eritis sicut dii, scientes bonum et malum » (Genèse, III, 5).