Longtemps Nanni Moretti a semblé porter à lui tout seul le cinéma italien. Débutant dans la seconde moitié des années 70, au moment où brillaient les derniers grands feux cinématographiques transalpins, il a aussitôt été considéré comme le premier représentant d’une jeunesse inquiète, avec des films aussi drôles que désenchantés et agressifs (Je suis un autarcique, Ecce Bombo, Sogni d’oro). Dans les années 80, la distribution en France de Bianca, de La messe est finie puis de Palombella rossa l’imposa progressivement, aux yeux de la critique, comme la seule révélation d’envergure parmi les nouveaux réalisateurs italiens œuvrant dans une industrie alors balayée par la télévision berlusconienne. Après cet autre coup d’éclat que fut Journal intime, l’obtention de la palme d’or du festival de Cannes 2001 pour La Chambre du fils le fit accéder définitivement, dans l’esprit du public, au rang de grand cinéaste européen. Bien que toujours aussi espacés les uns des autres et prenant place dans un paysage national moins dévasté, les films suivants tels Habemus Papam ou Mia madre consolidèrent encore sa position unique.
Nanni Moretti nourrit son cinéma de sa propre vie et du monde qui l’entoure. Interprétant le rôle principal de tous ses premiers films et ne cherchant guère à gommer leur caractère autobiographique, il a fini pourtant, à partir des années 2000, par instaurer une plus grande distance entre lui et ses sujets de fiction, sans toutefois proposer autre chose que des œuvres hautement personnelles. Ce cinéma est donc resté, malgré tout, « à la première personne », ce qui explique l’attachement et la gratitude que l’on peut continuer à éprouver à son égard.
Cet ouvrage de la collection Zoom Arrière propose de parcourir étape par étape, au fil des quatorze longs métrages (et des quelques courts) qui la composent, une œuvre construite avec la plus grande cohérence autour de thèmes récurrents comme la politique, la religion, le sport ou la cinéphilie. À ceux-ci s’ajoutent des éléments constitutifs primordiaux, de la création de l’alter ego Michele Apicella à l’opposition à la figure de Silvio Berlusconi, en passant par l’intérêt pour la psychanalyse ou l’amour de la musique populaire, qui sont autant de pistes de réflexions ouvertes pour tenter d’éclairer ce lien si fort établi entre Nanni Moretti et ses spectateurs les plus réceptifs, pour essayer d’expliquer ce sentiment de connivence qui habite tous les amateurs de ce cinéma de l’intime et de l’universel, et pour inviter les autres à s’y plonger.