Est-il écrivain plus inactuel que Stendhal ? Il semble à vrai dire qu’il soit condamné à connaître un deuxième purgatoire, après l’éclipse du naturalisme et de la fin du XIXe siècle ; au XXe siècle, on a maintes fois cherché à l’imiter, à le brandir, à l’arborer, à s’en réclamer, mais à une époque où la littérature désormais clabaude et privilégie tout un charivari dissonant et carnavalesque, sinon l’univers du bruit amorphe, où elle est de surcroît asservie aux médias et aux réseaux sociaux, ce grand musicien de la prose française n’est plus guère audible. Dans les jeunes générations issues de l’école « républicaine », il est devenu un classique fumeux, illisible et souverainement ennuyeux. Une certaine critique aussi l’a terriblement desservi depuis l’après-guerre. Quand on n’a pas tenté de l’enfermer dans des grilles psychanalytiques ou ne l’a pas passé au crible de la sociocritique, l’analyse structurale a tendu à le réduire à une série de thèmes ou de figures, à l’araser, à l’aplanir, à l’affadir. Il n’y a plus de Stendhal mais une textualité stendhalienne ; mais quel écrivain est plus résistant que Stendhal à cette uniformisation et dévitalisation ? Quelle œuvre est moins disposée à se plier à la tyrannie de la littérarité et à renier son allégeance à la littérature ? Cet ouvrage voudrait, en contrepoint de l’approche positiviste qui prévaut largement et tend à annihiler toute autre perspective, proposer une lecture plus spiritualiste de l’œuvre, en prenant le parti de ne pas évacuer la question des rapports entre esthétique et éthique. Il existe un Stendhal moral qui, de fait, ne manque pas d’intérêt.