C’est en partant de la Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, et comme à travers elle, que cet ouvrage s’efforce d’élucider le « problème Giono » et d’échafauder une interprétation d’ensemble d’une œuvre qui, dans sa pluralité essentielle, ne cesse de dérouter la critique.
Il s’agit d’abord de lire cette Lettre trop souvent considérée comme un opuscule de circonstance, afin d’y puiser, en même temps que la force d’un message de paix, l’incertitude profonde d’une pensée qui s’enracine dans la crise qui conduisit Giono à l’espèce de folie à l’œuvre dans son action de pacifiste intégral, culminant dans le moment crucial de 1938. Il s’agit aussi et surtout de comprendre dans quelle mesure tout Giono ou le tout de Giono ne cesse de se construire à partir de ce point aveugle de son œuvre où, prenant conscience de ses contradictions, l’écrivain s’efforça de rendre la guerre impossible à tout jamais : moment de tension extrême que nous ne pouvons contempler sans nous sentir menacés des mêmes démons, et tributaires des mêmes contradictions.
Longtemps éclipsé par d’autres figures de la modernité – Blanchot, Camus, Sartre, Bataille –, Giono se dresse devant nous, comme un Sphynx, au seuil d’une post-modernité où les conséquences des grands événements du XXe siècle nous obligent à renouer avec « les inquiétudes » de Péguy – à réapprendre à lire des textes que l’Histoire, malgré son ironie, n’a pas tout à fait rendus illisibles.