Une fée assise dans « un petit char d’ivoire traîné par six papillons », un rosier métamorphosé par les larmes d’une jeune fille en prince charmant, un gnome dotant d’esprit une belle mortelle en échange d’un mariage, un séjour délicieux sur l’île de la Jeunesse ou bien terrifiant dans les souterrains : avec « Le Prince rosier » et « Riquet à la houppe », Catherine Bernard plonge le lecteur dans l’irréalisme du conte tout récemment élevé à la dignité de genre littéraire.
Mais l’agréable mensonge dit paradoxalement la vérité : les deux apologues confirment, sur le mode de la satire, la leçon générale de la nouvelle Inès de Cordoue (1696) dont ils sont extraits en même temps qu’ils retournent le canonique happy end du conte de fées. D’un coup de baguette, le mythe de l’amour héroïque et généreux devient une puissance funeste et dévastatrice, sous l’effet de la jalousie ; ou bien une vanité puisant ses réserves dans le terreau de la galanterie ; ou encore une construction imaginaire dont les disputes conjugales sont l’affligeante caricature ; enfin une valeur marchande troquée contre la spiritualité. Malgré ses pouvoirs, Riquet fait une mauvaise affaire avec une épouse dès lors rusée et infidèle.
Non, l’esprit n’est pas le siège de la réflexion lucide ni de la conscience morale, mais celui de l’erreur, de la mauvaise foi, de la démesure. Faut-il y voir un indice de l’influence de Fontenelle engagé, comme on sait, contre les impostures de l’imagination ? Peut-être bien. On croit d’ailleurs reconnaître son art d’amortir la dureté du message par les chutes comiques, piquantes et légères.
Dans sa version de « Riquet à la houppe », publiée un an plus tard, Charles Perrault démontre au contraire la qualité suprême de l’esprit qui non seulement achève le portrait de la belle et vertueuse princesse mais prête de nouveaux charmes à son disgracieux donateur. Rassurant conformisme de l’un, scepticisme aigre-doux de l’autre, ces « doublets » soumis à l’arbitrage d’un public mondain sont les prémices de l’incroyable flambée d’un genre entré dans un « âge d’or », à la fin du XVIIe siècle.