Comment Laclos sort-il d’une confrontation avec la tradition ? Diminué ou grandi, il faut en décider ; mieux connu, certainement. Non pas l’homme, du moins l’homme de la biographie, qui échappe toujours un peu ; le débat des sources historiques n’est pas clos. Mais l’écrivain et son univers personnel. Une enquête sur les sources littéraires des Liaisons dangereuses prouve à la fois qu’elles n’auraient pu naître sans toute une série de garants et qu’elles sont plus que leur somme. Au carrefour de multiples traditions, Laclos n’est pas l’homme de l’éclectisme ; il marque ses choix et ses refus. L’honnêteté, la pudeur de Laclos dissimulent sa personnalité derrière des fidélités qui pourraient sembler le dépouiller de toute originalité. Débiteur du roman libertin, il donne seulement, dira-t-on, le chef-d’œuvre du genre ; tributaire de la forme épistolaire, il donne seulement le roman en lettres le plus lisible ; redevable à Richardson et à Jean-Jacques, il donne une Clarisse française qui va rejoindre d’autre part les imitations parodiques de la Nouvelle Héloïse. À peu près aucun de ses personnages, aucune de ses situations ne sont inédits. Dorat ou Mlle de Saint-Léger, si on s’en tient à la lettre, pouvaient aussi passer pour avoir donné le roman-type du danger des liaisons. Mais, sans dépayser ses lecteurs, Laclos leur offrait des thèmes de réflexion plus profonds, à condition qu’ils voulussent bien voir au-delà du scandale. On a souvent l’impression du déjà vu ; mais les premiers à avoir cette impression, ce sont les héros de Laclos et l’auteur lui-même.