Écrite vers la fin des années réalistes, après 1880, l’œuvre de Jules Renard témoigne de cette ambition de maîtrise du réel qui fut celle de la seconde moitié du XIXe siècle, de Balzac à Zola. Il s’agit alors pour lui de réduire le réel « à sa plus simple expression », de le restituer tel quel, démystifié de tout mensonge poétique, dans toute son objectivité, qu’il reproche même aux naturalistes de n’avoir pas su rendre.
Ce faisant, Renard découvre qu’il n’y a rien de moins simple que la simplicité d’un discours vrai sur le monde : sa recherche implique une ascèse, en ce qu’elle exige la justesse d’un contact immédiat nécessitant de trouver le mot juste, le seul possible à chaque fois. Et cette ascèse condamne à un travail infini de retranchement au cours duquel la simplicité du réel semble inévitablement se dérober au verbe à mesure que la perception qu’on en a révèle sa subjectivité.
L’écrivain qui s’est voulu observateur intransigeant découvre alors le rôle décisif de l’illusion dans toute tentative de connaissance et la nature profondément poétique de cette duplicité, de ce double fond du réel. Il y a donc un sens à cette mise en œuvre toujours recommencée, celui d’un engagement, liant dans la même pratique regard sur l’autre, découverte de soi, exigence morale et travail sur les mots.